La maison vide ou la Critique Mimétique : Qui aime Quoi et Pourquoi ?
Un brève analyse de l'illusion de liberté critique, à l'occasion d'un post d'Alexandre Lacroix (Philosophie Magazine) parlant de la prose convenue et mécanique de Mauvignier dans La maison vide
REGARDS LITTÉRAIRES
Laurent LD Bonnet
11/9/20254 min lire


DE LA CRITIQUE MIMETIQUE :
En réponse à un post d'Alexandre Lacroix ( Philosophie Magazine) qui tance la prose fabriquée de Mauvignier dans La maison vide.
Certes, Alexandre Lacroix. Pourquoi pas...
Mais vous aurez beau tenter d’éclairer la mécanique stylistique convenue de ce Goncourt, elle ne le restera que pour vous-même et ceux pour qui la notion de style se ressent plus qu’elle ne s’analyse. On vous taxera de cruauté, de jalousie, d’aigreur mal digérée, d’impuissant littéraire si vous n’êtes que critique, en somme d’iconoclaste, puisque vous venez là, en direct, déboulonner une statue du présent. Que diable ! Grande est la variété des lecteurs, et tant que les gens passent la porte d’une librairie pour aller vers la fiction, aussi insatisfaisante soit-elle, nous pourrions d’abord essayer de nous en féliciter, puis critiquer ensuite. Ce sont deux temporalités différentes. Le passé offre un grand potentiel en matière d'éducation à la critique d'une œuvre du présent. Vous pourriez citer, voire analyser, (ou nous pourrions débattre, par exemple), de l'imposture littéraire que fut le Goncourt de "La condition humaine", attribué à André Malraux. Ce serait un angle éclairant sur la notion de "qualité au présent".
Par ailleurs, il faut bien laisser aux grands entrepreneurs en littérature une chance de prouver qu’il existe autre chose que les “Je-Sujet-Verbe-Complément” et autres Ernauteries de la modernité. Après tout, eux aussi prennent des risques, de temps en temps. On pourrait même se féliciter que Les Éditions de Minuit, qui en leur temps ont œuvré à la promotion d’un soi-disant “Nouveau roman”, puissent encore laisser de la place à une œuvre dite classiquement travaillée.
Mais j’entends, derrière votre incomplète démonstration, un autre son de cloche : celui plus risqué d’une geste critique tout aussi convenue. Car autant il est facile de se ruer dans le plaisir que flèchent les autorités prescriptrices de l’instant (Chaîne commerciale du livre allant des comités éditoriaux jusqu’aux médias et prix littéraires) autant il est aisé d’user de la même prescription pour exprimer son regard critique. Tout cela ne s’exerce que dans un théâtre de l’iconisation qui promeut l’affrontement comme bon pour le commerce. Les algorithmes de la modernité électronique n’ont rien inventé. Spinoza parlait déjà de la mimétique des affects, recyclé par René Girard en désir mimétique, l’espèce humaine fonctionne ainsi depuis la nuit des temps, on aime ce que désire l’autre, l’autonomie est rare. L’industrie du livre l’a fort bien compris (Cf en photo, un ancêtre d’algorithme agrégateur d'opinion) : déjà il y a un demi-siècle, Julien Gracq distinguait la littérature de créateur de celle de monnayeur, comme naturellement favorisée – en réalité mécaniquement – par la chaîne du livre. La critique devenant alors un de ses maillons obligés. Propos qu’illustrera Deleuze vingt ans plus tard : “La rotation rapide constitue nécessairement un marché de l’attendu où, même l’audacieux, le scandaleux, l’étrange, etc., se coulent dans les formes prévues du marché.”
On en est toujours là : chaque maillon de la chaîne médiatique est à sa mesure soumis aux nombreux biais de la chaîne commerciale du livre : Soit on y parle de ce qui est visible, connu, ou reconnu parce que bénéficiant de labels implicites (marque éditoriale, coteries diverses…) Soit on s’y félicite de dénicher telle rare “pépite dont on ne sort pas indemne”, en oubliant dans un déni le plus total que l'offre en librairie est de toute façon dominée par des acteurs qui sont capables (en direct ou via des filiales) de mobiliser un capital conséquent pour constituer un stock d’ouvrages dont les diffuseurs, reliés aux services de presse, sont les maîtres du jeu : un système organique de prescription qui n'a plus rien de littéraire, tenant en laisse sans même qu'ils s'en rendent compte, depuis le moindre commentateur critique de la vie des lettres, qui préférera souvent cultiver sa propre valeur ajoutée en commentant l'ouvrage de maisons réputées, jusqu'aux auteurs dominants du marché qui, en toute bonne foi, et dans le secret le plus profond de leur âme créatrice, cultivent avec acharnement un intime et autosuffisant "Je vends donc je suis". Quant au plus vieil outil de diffusion inventée par l'humanité - avant même le feu, sans doute - le Bouche à Oreille, des lecteurs ou bookshop, il n'existe plus qu'accaparé par les médias et réseaux divers qui agrègent, agrègent...Agrègent sans cesse à l'intérieur du même panier d'achat disponible. On attend encore le premier libraire indépendant qui, levant les yeux de son stock et ses codes barres, organisera sa surface en réservant un espace dédié aux éditeurs réellement indépendants. Parmi lesquels les impressions à la demande seront valorisées quand littérairement elles le méritent.
C’est dans cette gigantesque cour-là de décréation, qu'on joue ici avec le roman de Mauvignier. A tort ou à raison, peu importe. Nous pourrions en débattre.
Mais autre serait le courage de s’extraire du grand théâtre du désir mimétique, partir à l’aventure, prendre le temps, s’ouvrir à des plumes qui agissent en littérature en dehors des prescripteurs du marché de l’attendu.
Laurent LD Bonnet
Un ancêtre d'algorithme agrégateur d'opinion